Travaux personnels > La guerre du Golfe (1990-1991) à la télévision française
Mémoire de Maîtrise d'Histoire contemporaine - Année 1992 - Université Paris IV - Sorbonne - Centre d'Histoire de l'Islam Contemporain - Auteur : Patrice Sawicki / Directeur de Recherche : Monsieur Dominique Chevallier - Mention Très Bien
 

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INTRODUCTION

 

Médias, monde arabe, guerre du Golfe… Pourquoi ce sujet ?
Ces trois dernières années(1) ont vu se succéder en quelques mois une série de bouleversements internationaux comme le monde n'en n'avait plus connus depuis le début du siècle (Première Guerre Mondiale, effondrement des grands empires, Révolution soviétique, etc.). Cette mutation s'est faite à un rythme si rapide (elle est encore en cours) et a transformé tant d'aires géographiques en même temps, le tout en entrecroisant toutes les variables historiques, sociologiques, économiques et culturelles, qu'aucun des observateurs qualifiés habituels ne put vraiment rendre compte de cette nouvelle réalité (par le manque de pertinence de leurs outils d'observation et de leurs repères d'analyse classiques). La porte était alors ouverte à la "prise de pouvoir explicatif" par les médias, forts de leur influence. Ils avaient pour eux la variable temps (instantanéité, rapidité), la variable espace (multiprésence, ubiquité), la capacité de mobiliser les spécialistes de chaque domaine (Histoire, géopolitique, stratégie militaire, économie, psychologie, ...), et surtout la puissance de diffusion au plus grand nombre. De tous les médias, la télévision, de par sa nature, en fut la principale bénéficiaire.

C'est pourquoi nous avons fait le choix d'analyser l'information sur la guerre du Golfe à la télévision , dans le cadre d'une étude du monde arabe, et de sa perception en Occident, et particulièrement en France. Car cette guerre a été un exemple pertinent de l'influence des médias audiovisuels sur les citoyens-téléspectateurs, comme elle demeure aujourd'hui encore l'illustration des risques encourus à ne privilégier qu'à un seul médium le soin d'informer un pays tout entier.
Tous les éléments réunis durant la crise du Golfe paraissaient semblables à ceux des pays de l'Est : remise en cause du tracé des frontières issus de la Première Guerre Mondiale (Machrek) et de la Seconde Guerre Mondiale (Israël-Palestine), remise en cause des alliances nées durant la Guerre Froide, crainte du surarmement de petits états jadis contrôlés par l'Union Soviétique (armes nucléaires, chimiques, bactériologiques). A cela devait s'ajouter un élément primordial à la survie des grandes puissances économiques occidentales : la protection des réserves pétrolières de la région du Golfe.

La crise du Golfe devait bien vite revêtir un aspect original et quasiment inconnu de la plupart des occidentaux, puisque ce fut la première crise de dimension internationale depuis la fin de la Guerre Froide. Cet aspect des choses n'échappa pas aux médias, qui y voyaient la continuation des changements opérés à l'Est de l'Europe. Car, pour la première fois, la crise prit réellement -et en toute légalité- un aspect international, puisque l'Irak était condamnée par l'ensemble des membres du Conseil de Sécurité de l'ONU, sans le veto de l'URSS ou de la Chine.
Il ne manquait aux médias qu'un seul élément pour se focaliser sur la Crise : l'aspect militaire de la Crise. L'occasion leur fut donnée d'envoyer des journalistes en très grand nombre dans les pays arabes, dès l'envoi par les américains de troupes en Arabie Saoudite en vue de protéger l'émirat d'une potentielle invasion de l'Irak. Or, depuis la guerre du Vietnam, jamais les États-Unis n'étaient intervenus militairement hors de leur continent. Et ce fut l'occasion de sortir leurs arsenaux d'armes technologiques nouvelles et secrètes, jusqu'alors réservées à une guerre contre l'Union Soviétique.

Il n'en fallait pas plus pour attirer les médias en Arabie Saoudite et dans l'ensemble des pays arabes. La conjonction de tous les faits sus décrits fut un moteur suffisant au lancement de la machine informationnelle à l'assaut du Monde Arabe. Dans l'attente d'une guerre, les médias du monde entier se mobilisèrent dès le mois d'août 1990. La crise diplomatique et politique durant laquelle l'ONU et différents pays tentèrent de convaincre Saddam Hussein d'évacuer ses troupes du Koweït afin d'éviter un conflit armé, fut médiatisée comme nulle autre crise diplomatique ne l'avait été. La technologie impressionnante à laquelle ont accédé les médias audiovisuels durant ces vingt dernières années allait fonctionner en parallèle avec l'armada spectaculaire déployée par les États-Unis dans le Golfe.

Notre étude a donc pour but d'analyser la perception du Monde Arabe qu'ont eue les acteurs des médias durant cette période mouvementée. Car la crise et la guerre du Golfe (situations extrêmes) ont été "l'occasion" de réunir tous les éléments pour permettre l'analyse du comportement (euphorie) et du vocabulaire (stéréotypes et idées préconçues) utilisé par les journalistes. Cette étude est à la fois chronologique (contexte et déroulement de la crise à la télévision , images de la guerre du Golfe, analyse et tentatives d'explication du comportement des médias audiovisuels durant la crise et la guerre du Golfe), et thématique : analyse du traitement de l'information sur le monde arabe et ses spécificités par les journalistes, durant la crise et la guerre ( "masses arabes", islamisme, terrorisme, Saddam Hussein, géostratégie et géopolitique du monde arabe et du conflit israélo-palestinien - le "lien" entre tous les problèmes de la région, proposé par Saddam Hussein ). Cependant, cette analyse ne se limite pas seulement au seul domaine du monde arabe à travers la télévision, mais aussi au traitement médiatique de la guerre du Golfe par les journalistes et rédactions des télévisions françaises : occultation de certains faits, non-suivi et suivi de l'information, information en direct ("l'Histoire en train de se faire"), censure militaire et autocensure, manipulations réciproques, désinformations, et propagande à la télévision font aussi partie de ce travail d'analyse.


Pourquoi une étude de cet évènement à travers la télévision ?
Cela résulte du rôle exorbitant joué par la télévision au quotidien. Elle constitue le plus important moyen de communication en France, et donc la source première d'information de la majorité des français :

"Selon les derniers sondages, la télévision est non seulement la principale source de connaissance et d'information des français , mais ceux-ci ont davantage confiance dans ce média que dans les journaux : en octobre 1990 , 52% accordent crédit aux informations de la télévision , 53% à celles de la radio et seulement 44% à celles de la presse écrite. Enquête commanditée par le Ministère de la Culture (avril 1990) : 91% des français (soit 20,5 millions de ménages) possèdent la télévision. 89% en 1981, 63% en 1973, 1% en 1954. La télévision vient au troisième rang de nos activités après le travail et le sommeil , mais avant la lecture. Nous regardons la télévision entre 20 et 25 heures par semaine , soit une moyenne de trois heures par jour. Les enfants, eux, passent 900 heures par an en classe et 1200 heures devant le petit écran.
D'où l'importance de cette révolution de l'information par l'image, pour l'avenir intellectuel de ce pays.(...)"(2)

L'information dispensée à la télévision joue un rôle pédagogique essentiel à l'approche et à la connaissance et à du monde par la majorité de la population française.

Ce travail est le résultat de la conjonction d'un intérêt croissant pour la monde arabo-musulman et d'une passion : celle de l'image. A l'origine de cette dernière, il y eut avant tout la volonté de mieux comprendre les mécanismes (psychologiques et sociologiques) qui poussèrent des hommes à en manipuler d'autres, notamment au sein de régimes tels l'Allemagne nazie ou l'Union Soviétique durant la période stalinienne. Cette attirance se renforça lors de la diffusion à la télévision (FR3) en juin 1989 de l'émission PROPAGANDA , dans laquelle il était suggéré que les régimes totalitaires n'étaient pas les seuls à manipuler et désinformer leurs citoyens (Guerre d'Algérie en France, Guerre Froide et du Vietnam aux États-Unis). La conjonction de ces deux centres d'intérêt put être effectuée avec le déclenchement en 1990 de la crise, puis de la guerre du Golfe.

Le but de cette étude n'est pas de fabriquer un bêtisier de l'information, mais de montrer à quel point la télévision fut un vecteur de résurgence et de transmission de stéréotypes et d'idées préconçues. Cependant, tromperies et rumeurs diffusées comme des informations, et citées tout au long de ce travail, pourront parfois donner l'impression qu'il s'agît bien d'un répertoire des erreurs de journalistes de la télévision. Nous avons en réalité tenté de retranscrire le plus fidèlement possible les informations telles qu'elles furent données à des millions de téléspectateurs français durant la guerre du Golfe.

Afin d'aborder ce sujet avec un maximum d'objectivité et d'exhaustivité, il était prévu de travailler avec l'accord et l'aide des rédactions des chaînes de télévision françaises, en particulier TF1 (chaîne privée) et FR3, (chaîne publique). Or, les rédacteurs en chef des journaux du soir de ces deux chaînes refusèrent d'apporter leur aide à l'accomplissement de ce travail. Il refusèrent aussi de nous laisser accéder aux sources écrites (conducteurs des journaux télévisés) et filmées qui auraient pu être utiles à une analyse véritablement scientifique et rigoureuse de l'influence de la télévision sur la compréhension par le grand public de la Crise et la guerre du Golfe.

Les principales sources utilisées sont donc essentiellement des sources écrites, des ouvrages publiés après le conflit, ainsi que de nombreux articles de journaux. Les autres sources sont constituées d'enregistrements privés des journaux télévisés du soir, sur la chaîne publique Antenne 2, enregistrements effectués durant la guerre du Golfe.

 

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(1) Ce mémoire a été rédigé en 1992
(2) Alain Woodrow , "Information-Manipulation", Éditions du félin, juillet 1991, PP 22-23.
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