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The Promise - Le Serment The Promise - Le Serment
de Peter Kosminsky

Canal Plus1 a eu du nez en décidant de diffuser cette série récemment2. On savait que la chaîne, bien que certains programmes soient franchement insipides ou niais (à midi par exemple, ou même en soirée3…), était néanmoins en avance sur les autres de par l’originalité et le traitement de certains sujets, via notamment les fictions (Braquo, Abou Nidal, Résolution 819, entre autres), quelques-unes s’inspirant d’ailleurs de faits réels. Mais là, il fallait tout de même avoir du courage pour diffuser à une heure de grande écoute une série en quatre épisodes relatant, à deux périodes charnières, l’histoire contemporaine d’un conflit presque vieux comme le monde : la tragédie non pas grecque mais israélo-palestinienne.

Pour observer cela, on suit le parcours de deux jeunes gens, Len et Erin, à soixante ans d’écart (années 1945-48 et 2000 environ), munis pour seuls bagages d’idéaux (pour Len) ou d’insouciance (pour Erin) qui ne résisteront pas à l’épreuve des évènements. Bercée par une musique forcément mélancolique mais splendide et qui colle parfaitement au « climat », la série nous plonge dans les méandres d’un conflit à propos duquel tout le monde, en général, finit par se disputer ou s’étriper au bout de cinq minutes et sans que personne ait vraiment compris grand-chose de plus à l’arrivée. La série n’explique pas : elle montre une réalité « simplement » incompréhensible, humainement écœurante et dans laquelle personne n’est gagnant, débarrassée d’oripeaux inutiles comme des explications géopolitiques qui auraient davantage parasité le propos et nui à la grande qualité de cette fiction.

On suit donc Erin (Claire Foy), jeune londonienne venue passer quelques jours de vacances chez son amie en Israël. Alors qu’elle est en plein déménagement de l’appartement de son grand-père (en soins à l’hôpital), elle découvre juste avant de partir en vacances le journal intime de celui-ci dans des cartons. Alors que sa mère lui demande de laisser le carnet là où elle l’a trouvé, Erin décide de le garder, évidemment sans le dire. D’un simple voyage de détente chez son amie, le voyage va se transformer en véritable route initiatique, et la conduire sur les traces de son grand-père, soixante ans après. En suivant Erin, Peter Kosminsky nous fait ainsi voir Israël, où on trouve des gens « comme vous et moi » mais vivant pour beaucoup dans leur monde, refusant de voir une réalité pourtant tout près de chez eux. Il nous fait voir des jeunes soldats israéliens, arrogants (ou indifférents, c’est selon) comme on leur demande de l’être, certains ayant toutefois choisi d’arrêter en cours de route et de militer pacifiquement aux côtés de palestiniens aussi pacifistes qu’eux (si si, il y en a !), aussi fatigués qu’eux d’une situation qui les dépasse et aussi désireux qu’eux d’y mettre un terme. Mais on voit aussi les tensions qu’une telle situation génère, notamment dans la famille où loge Erin : ses propres découvertes l’amènent petit à petit à voir son amie et la famille de celle-ci sous un autre angle, beaucoup moins reluisant. La scène du départ d’Erin par exemple, dans le dernier épisode, en particulier lorsqu’elle dit au revoir à sa famille d’accueil dans un silence pour le moins glacial : une scène parfaitement jouée et qui fait très bien ressentir la tension née et accumulée au fil des jours. Le regard noir que se lancent la mère de famille et Erin l’espace de seulement quelques secondes en dit long…

Le parcours de Len (Christian Cooke), jeune soldat britannique à la fin des années 1940 et qui n’est autre, on l’aura compris, que le grand-père de la jeune londonienne, vaut également le détour, notamment pour ses rappels historiques. Soldat d’une armée mandatée par la Société des Nations (ancêtre de l’ONU) pour assurer une tutelle sur la Palestine, et tout en gérant tant bien que mal l’arrivée des populations juives échappées des massacres et trouvant là une terre d’accueil, le jeune soldat est également tiraillé entre ses convictions, sincères et honorables, et une réalité qui l’est évidemment beaucoup moins (honorable).

Au moment de la diffusion du premier épisode, certains sites d’informations relayaient une manifestation s’étant tenue devant le siège de Canal Plus pour tenter d’empêcher la diffusion de l’intégralité de la série4. Pourquoi une telle manifestation ? Parce que la série était jugée caricaturale, totalement déconnectée de la réalité et ouvertement pro-palestinienne. Pour sortir de telles énormités, on peut être à peu près certain de deux choses : soit qu’aucune de ces personnes n’avait réellement vu la fiction, soit qu’elles avaient compris uniquement ce qu’elles avaient envie de comprendre, une nuance de taille. Des propos également entendus dans la bouche d’un député UMP5. Consternant, c’est le moins qu’on puisse dire. D’autant que la chaîne a déjà diffusé par le passé des fictions bien plus sulfureuses (Pigalle la nuit, Maison Close par exemple dans un style, Djihad dans un autre) sans déclencher la moindre émeute ou polémique. Alors pourquoi un tel tapage ? Quoiqu’il en soit, les énergumènes en question et leur action n’ont pas eu le moindre effet sur la série : celle-ci a en effet été diffusée comme prévu. Un pétard mouillé comme on dit. Tant mieux, car c’est un mauvais procès que de considérer l’œuvre du cinéaste britannique Peter Kosminsky comme prenant partie pour un « camp » ou pour l’autre, et surtout de vouloir faire passer la série en question comme un objet simpliste et réducteur. Car celui-ci fait précisément l’effort, à l’image de ses films précédents6 , de ne jamais se laisser tenter par la facilité ou le manichéisme, et de regarder les torts et responsabilités des deux côtés. Ainsi, l’imbécillité et la monstruosité d’islamistes se faisant sauter dans un bar de Tel-Aviv nous sont autant montrés que l’occupation et le « flicage » permanent dans les Territoires par l’armée israélienne, que ce soit en Cisjordanie (Hébron, etc.) ou dans la Bande de Gaza.

On pourra reprocher à la série une certaine baisse de régime dans les deuxième et troisième épisodes, plus lents, mais cela ne justifierait en rien de passer à côté. Car cette fiction (en ce qui concerne les personnages, car tout en revanche est filmé sur les lieux mentionnés), entreprise comme une enquête à rebours par son réalisateur (qui s’est basé sur de nombreux témoignages), a le grand mérite de montrer différents aspects d’une réalité que beaucoup (de tous côtés, y compris outre-Atlantique) refusent encore de voir, obtus d’esprit qu’ils sont et mus par des idéologies extrémistes ramenées directement du Moyen Âge, théories basées en outre sur une vision en décalage complet avec une réalité qu’ils ont, qu’ils le veuillent ou non, participé à créer et, même, à faire empirer. Alors que la série est poussée par un souffle romanesque (la relation qu’entretient Erin avec les deux jeunes hommes qui l’accompagnent à différents moments de son périple, l’un Israélien et l’autre Palestinien), le propos s’ancre bel et bien dans une réalité à la fois historique et politique. On notera également des scènes poignantes dans le dernier épisode, notamment lorsque Erin se rend dans la Bande de Gaza afin de tenter d’y honorer une promesse faite par son grand-père, en l’occurrence remettre en main propre une clé qui fait symboliquement bien plus que simplement ouvrir une porte, ou encore la scène finale dans laquelle Erin retrouve son grand-père à l’hôpital. Un scène magnifique.

Il est très conseillé de lire à ce sujet l’interview passionnante accordée par Peter Kosminsky au quotidien L'Humanité, dans laquelle il explique sa démarche7 :

« Ce qui m’intéresse, c’est de faire des films sur des gens ordinaires placés dans des situations extraordinaires. La guerre est vraiment le terrain le plus extraordinaire pour ce genre de cheminement personnel. On prend un jeune de dix-huit ans qui sort à peine de l’école, n’a probablement jamais voyagé très loin de sa ville d’origine et on le transporte à l’étranger dans une zone de guerre. Il y verra peut-être son meilleur ami se faire exploser en morceaux sous ses yeux. Six mois plus tard, lorsqu’il rentrera chez lui, personne ne se rendra compte qu’il a naturellement changé à cause de cette expérience. J’ai l’habitude de parler d’un ascenseur express pour l’âge adulte. »

A propos de ce qui serait perçu, cela a été évoqué plus haut, comme un parti pris radical :

« Je serais très attristé si quelqu’un devait considérer la série comme partisane. Je ne l’accepterai pas. Nous nous sommes battus avec l’aide de juristes pour vérifier très méticuleusement que le film est équilibré. Mais équilibré pour moi ne signifie pas que chaque scène est équilibrée, mais que prise dans son ensemble, la série équilibrée. Si vous lisiez le résultat des recherches, vous le verriez. J’ai interviewé quatre-vingt-deux survivants du déploiement britannique en Palestine et leur conclusion était absolument claire et sans équivoque : ils étaient arrivés très pro-juifs et sont partis très pro-arabes. On peut se demander pour quelles raisons et on peut même en discuter, mais c’était très clair dans leurs propos. Je devais le montrer, sinon cela aurait été mentir. La série n’est pas juste un véhicule pour ma vision politique personnelle. Si j’avais voulu réaliser un projet aussi simpliste que cela, j’aurais gâché huit ans de ma vie. C’est une situation compliquée. Il y a du « bien » et du « mal » des deux côtés. C’est tellement compliqué, qu’il est même difficile de juger ce qui est « bien ». J’ai débuté comme documentariste et j’avais l’obligation de refléter cette réalité. »

Par ailleurs, concernant les conditions de tournage :

« […] Israël ne ressemble […] à aucun autre endroit dans le monde. A la fois du point de vue de sa géographie, des origines variées de sa population comme de son architecture. Nous avons donc décidé de tourner sur place, ce qui a été une décision courageuse car le conflit n’est pas terminé. Nous avons choisi de recourir à des acteurs juifs pour jouer les juifs et des acteurs palestiniens pour incarner les Palestiniens. Il était inévitable que certains des événements forts provoqueraient des sentiments forts dans la distribution et dans l’équipe du film. Il a fallu gérer cela au cas par cas. L’État israélien n’a pas été particulièrement accueillant. Ni enthousiaste à propos du projet. Il n’a pas essayé de nous empêcher de faire le film mais il a mis autant d’obstacles qu’il a pu sur notre chemin. Nous n’avons pu utiliser aucun bâtiment officiel. C’était toujours « non » et sans aucune explication, ce qui est toujours très frustrant. Cela a rendu ce qui était déjà un projet très ambitieux encore plus difficile. Par ailleurs, aucune équipe britannique n’avait jamais filmé en Israël auparavant. Nous avons donc dû inventer […]. »

Au regard de l’émotion très prégnante dans la série :

« […] Je n’ai pas essayé de donner une leçon d’histoire. J’ai essayé de réunir une fiction prenante. Inévitablement, il était nécessaire d’expliquer certaines choses, sinon la fiction, elle-même, n’aurait pas eu de sens. Il fallait donc que les personnages de Len et d’Erin se fassent expliquer des choses. Nous avons reçu beaucoup de plaintes de téléspectateurs britanniques qui regrettaient qu’Erin soit "ridiculement"naïve et se laisse confortablement raconter les choses par des gens. Cela dit, j’essaye d’éviter le procédé par lequel des gens vous racontent l’histoire. Je suis convaincu que c’est la mort de la fiction. Quand les gens ont une conversation dans une fiction, elle devrait se dérouler comme dans la vie. C’est toujours un équilibre difficile, très difficile à trouver entre raconter aux téléspectateurs ce qu’ils ont besoin de savoir et ne pas surcharger la fiction, surtout dans les premiers instants. C’est-à-dire au moment où ils vont décider de continuer à la regarder pendant des semaines ou pas. »

A la fin de l’entretien, le réalisateur précise cet aspect fondamental quant au travail mené en amont sur la série :

« Nous avons effectué de nombreuses recherches pour s’assurer que de multiples points de vue soient présentés. Je ne crois pas que l’on rend service à ce qui est clairement un problème politique compliqué en suggérant qu’il existe des solutions simples. Que tout le « bien » est d’un côté et le « mal » de l’autre. Clairement, ce n’est pas le cas. Chaque bord peut nourrir des reproches légitimes et est constitué d’opinions diverses. Mon travail consiste à essayer de créer une illustration réaliste du monde. Bien sûr, j’ai sélectionné, choisi de décrire certains faits plutôt que d’autres et on peut discuter des choix individuels qui ont été les miens. […] Moi, mon travail est de permettre au public d’essayer de penser de manière indépendante et d’en arriver à une conclusion personnelle. »

Aux dernières nouvelles, on envisage de présenter en septembre 2011 aux Nations Unies une délégation de l’Autorité Palestinienne afin que celle-ci soit enfin représentée au sein de la « Communauté Internationale »8. On est bien ici dans le réel, et la fiction, paradoxalement, est aussi là pour nous le rappeler. Et rien que pour cela, The Promise est à voir.

Jérôme DIAZ
Journaliste
Membre du Cercle des Chercheurs sur le Moyen-Orient
http://cerclechercheursmoyenorient.wordpress.com/

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1- Voir sur le site de la chaîne le dossier consacré à la série : www.canalplus.fr/c-series/pid3740-c-le-serment.html?vid=435791
2 - Il est vivement conseillé de lire l’article des Inrocks consacré à cette fiction : www.lesinrocks.com/medias/numerique-article/t/61774/date/2011-03-21/article/les-promesses-trahies/
3 - L’inutile Boîte à questions par exemple…

4 - www.europe-israel.org/2011/03/%C2%AB-le-serment-%C2%BB-une-oeuvre-ambigue/
5 - www.lepost.fr/article/2011/03/22/2442466_des-organisations-juives-demandent-la-deprogrammation-d-une-serie-de-canal.html
6 - On peut citer entre autres Les graines de la colère, téléfilm en deux parties réalisé en 2007 où l’on suit deux frère et sœur, britanniques d’origine pakistanaise, réagir différemment aux attentats de Londres en 2005 : l’un rejoint le MI-5 (services secrets britanniques) tandis que sa sœur rejoint les rangs des fondamentalistes. Excellente interview du réalisateur sur le site d’Arte : www.arte.tv/fr/2213344.html
7 - http://humanite.fr/22_03_2011-rencontre-avec-peter-kosminsky-r%C3%A9alisateur-du-serment-468186
8 - http://tempsreel.nouvelobs.com/actualite/monde/20110422.OBS1761/un-etat-palestinien-oui-mais-pour-quelle-paix.html